Grandmont (campagne 2021)

La campagne de 2021 a permis de confirmer le phasage proposé pour l’ensemble du site lors des précédentes fouilles.

Une occupation antérieure à l’arrivée des frères grandmontains, en 1124, semble attestée à la période alto-médiévale. La découverte d’une nouvelle fosse anthropique ovalaire, creusée dans le granit, vient confirmer cette hypothèse. Même si son comblement s’est révélé stérile, cette fosse est bien antérieure à la pose du mur gouttereau nord puisque des assises de fondation y ont été disposées, après recoupement de son comblement. Elle est mitoyenne à une autre fosse découverte en 2014-2015, qui contenait du mobilier alto-médiéval (VIIIe-Xe siècles), confirmé avec une datation par radiocarbone. L’hypothèse d’une installation humaine de type rural au haut Moyen Age repose donc, à ce jour, sur la présence de plusieurs fosses, dont deux mitoyennes, sur un mobilier céramique résiduel et sur deux datations par radiocarbone.

La construction du premier monastère est nécessairement réalisée dans le courant du second quart du XIIe siècle, après d’importants travaux de terrassement et de nivellement, encore une fois constatés sur le site, pour s’adapter au caractère accidenté du terrain, notamment à l’est du promontoire. On a en, pour l’instant, aucune trace archéologique sinon une utilisation précoce du cimetière oriental.

Reconstruction totale ou partielle, le second monastère de Grandmont semble avoir été édifié en plusieurs temps, que l’on commence à identifier.
L’église n’est pas achevée avant le dernier tiers du XIIe siècle (est-ce déjà celle du premier monastère ?). Quelques vestiges d’un sol ancien, constitué de dalles hexagonales, ont pu être repérés, cette année, dans la partie occidentale. Les murs gouttereaux, entièrement démontés, reposaient, sans tranchée de fondation, directement sur l’arène granitique ou, parfois, sur un dépôt de mortier résistant pour le mur nord. Dans cette partie de la nef, outre la grande fosse à trois tombes fouillée en 2019 devant la porte sud, toutes les sépultures sont placées au centre, il n’y a pas d’inhumation au droit de la porte nord. Trois tombes alignées ont ainsi été étudiées en 2021. La plus à l’ouest est une sépulture peu profonde avec cercueil qui contient un individu en partie bouleversé. La suivante, très profonde avec cercueil, abrite également un individu bouleversé. Enfin, la plus à l’est, est une petite sépulture construite, très peu profonde, avec deux dalles de couverture. Elle contenait un coffret en plomb avec la réduction d’un seul individu et du mobilier (tissus précieux, cuir, bague, bâton sacerdotal en plusieurs fragments et pointe métallique dudit bâton). La découverte de ce riche coffret-ossuaire est exceptionnelle et cette forme de réinhumation prestigieuse témoigne d’une vaste politique funéraire, déjà évoquée par les indices d’embaumement ou encore les ampoules en plomb du cimetière oriental. Ces trois sépultures devaient être signalées par une plaque funéraire au niveau du sol.

Aplique de coffre en métal doré

Venant s’ajouter aux tombes ad sanctos, à la galerie nord du cloître et au cimetière oriental, un quatrième espace d’inhumations a été identifié au nord de l’église cette année. Des sépultures sont, en effet, implantées le long du mur gouttereau. Il serait tentant d’y voir le début du « cimetière de l’Angleterre », évoqué par les chroniqueurs du XVIe siècle et certainement mis en place avant la fin du XIIe siècle. Toutefois, l’étude archéo-anthropologique conclut plutôt à une simple zone d’inhumations le long du mur nord de l’église.
C’est durant la première moitié du XIIe siècle qu’est installé le cimetière oriental, utilisé jusqu’au moins le XIVe siècle. A l’est du monastère, en surplomb de la grande terrasse, un mur de direction ouest-est, établi en fonction de la pente du versant oriental du promontoire et certainement pour stabiliser le terrassement à cet endroit, a servi de limite sud au cimetière. Dans ce secteur, l’espace cémétérial, toujours organisé en rangées, comporte certaines sépultures bouleversées avec plusieurs individus atteints de pathologies invalidantes. Trois ampoules en plomb, dites de pèlerinage, ont été retrouvées cette année encore, dont l’une en place sur le torse de l’individu, ce qui porte cette collection, unique en Europe, à 38 exemplaires.
Dans le premier tiers du XIIIe siècle a lieu la reconstruction du cloître et des bâtiments claustraux avec un possible transfert du nord au sud. Ces profonds bouleversements, peu connus jusqu’à présent, ont trouvé un nouvel éclairage grâce à l’ouverture d’un secteur de fouille dans la partie sud-ouest du cloître en 2021.
Sondé en plusieurs endroits, le bâtiment méridional dispose d’une grande salle éclairée, du côté sud, par une série de fenêtres ébrasées. Il s’agit peut-être de l’ancien réfectoire. On y accède, depuis l’angle sud-ouest du cloître, par une arcade reposant sur des piliers à chapiteau. Il est relié au bâtiment occidental par une salle d’angle carrée et équipée de deux grandes arcades ouvrant sur chaque aile. Deux accès au bâtiment occidental, depuis la galerie de cloître, ont été retrouvés : un large passage sous arcade au sud et une simple porte au nord. Les deux bâtiments, conservés sur une élévation de 2 à 3 m, datent du début du XIIIe siècle, d’après les colonnes, les chapiteaux et les tas de charge conservés en place1. La présence d’éboulis de pierres au contact des maçonneries subsistantes montre que cette partie du monastère médiéval n’a pas été systématiquement démolie lors de la grande reconstruction du milieu du XVIIIe siècle.
Un grand sondage perpendiculaire au parement est du bâtiment occidental a permis de retrouver une structuration conforme et attendue. Le mur du bâtiment est équipé d’une porte et d’une banquette de pierres à sa base. On trouve ensuite la galerie ouest du cloître, large de 3,80 m, avec un pavage de carreaux non vernissés, en place mais usé. Son mur bahut dispose d’un grand ressaut du côté de la galerie, peut-être pour accueillir une seconde banquette, et d’une structure construite s’apparentant à un contrefort du côté de la cour. Cette dernière est pavée de dalles granitiques bien agencées avec un caniveau pour l’évacuation des eaux pluviales. Vers l’est, une bordure de pierres encadre un parterre composé de terre végétale rapportée. La terre noire recouvrant la cour de cloître comportait beaucoup de mobilier (céramique, verre) et, surtout, un élément de placage en métal cuivreux doré représentant des animaux affrontés, dont un exemplaire identique est conservé au Musée de Cluny à Paris (figure).
La localisation précise des deux bâtiments sud et ouest ainsi que celle de la galerie ouest du cloître permettent d’apprécier l’ampleur du cloître médiéval (1786 m2), ce qui pose la question du nombre de religieux à Grandmont. Comme souvent, la réponse ne peut être fondée que sur des interprétations : une soixantaine vers la fin du XIIe siècle, à cause justement de la taille de l’espace claustral et aussi du nombre théorique évoqué en 1317 ; une trentaine au XIIIe siècle, à cause de la disparition quasi complète des frères lais ; une vingtaine au XIVe siècle, à cause de la liste de 1320 ; entre dix et quinze à la suite de la grande dépression de la fin du Moyen Age ; un maintien plutôt faible à l’époque moderne.
L’une des découvertes majeures de la campagne 2021 reste l’important réseau hydraulique du secteur oriental (figure). Trois phases d’aménagement se distinguent. La première phase pourrait correspondre au premier tiers du XIIIe siècle car une canalisation est-ouest passe à travers le mur du bâtiment oriental médiéval pour évacuer les eaux usées en direction du rebord du promontoire. Ensuite, elle est dérivée vers le sud et la première canalisation est condamnée. Cette réorientation du système hydraulique est, pour l’instant, difficile à comprendre. L’extension en 2022 du secteur vers le sud apportera certainement quelques réponses.

Le système hydraulique du secteur oriental

Globalement, deux grandes périodes de réalisation se dégagent à la suite de la dernière étude sur le mobilier lapidaire. La première, dans les années 1180-1190, pourrait être mise en lien avec le transfert des reliques d’Etienne de Muret, lequel traduit de nombreux changements au sein des mentalités grandmontaines. La deuxième phase correspond aux années 1215-1225 qu’il est tentant de mettre en relation avec la victoire du « clan clérical » de l’ordre en 1217, laquelle aurait pu motiver une réorganisation des bâtiments conventuels et de l’église matérialisant ainsi, dans la pierre, la hiérarchie entre les deux parties de la communauté.

Dans le troisième quart du XVe siècle, d’importants travaux sont effectués dans l’église et dans une partie des bâtiments claustraux. De cette époque date peut-être, dans la zone la plus à l’ouest de la nef, le pavement le plus récent, composé de dalles rectangulaires.
Des réparations et des consolidations sont encore effectuées aux XVIe et XVIIe siècles. A l’extérieur de l’église, du côté nord, une construction, très large, fondée à travers le rocher et ancrée au mur gouttereau, est interprétée comme l’un des contreforts édifiés au XVIIe siècle et mentionnés dans les textes. Un décalage dans l’alignement du mur, à cet endroit, dénote peut-être de deux états de construction ou, au moins, d’une réfection importante. La plupart des tombes du cimetière de l’Angleterre sont perturbées et on a retrouvé, dans l’une d’elles, un dépôt d’ossements certainement lié à ces travaux de consolidation de l’église.
La reconstruction totale du monastère à partir de 1738, sur un plan totalement différent, dénote d’une volonté de rompre avec le passé. Le démontage partiel des sols, tant dans la nef que dans la galerie nord du cloître, indique que les bâtiments médiévaux ont été entièrement démolis aux abords de la nouvelle construction, lors des travaux du XVIIIe siècle. En revanche, ils ont subsisté, à l’état de ruine ou entiers, lorsqu’ils se situaient à une quinzaine de mètres du nouveau bâtiment. C’est le cas pour les bâtiments sud et ouest du cloître médiéval. Le dernier état du réseau hydraulique pourrait dater de cette époque avec une nouvelle structure circulaire, certainement un regard ou un puisard, au moment où d’importants travaux d’exhaussement de la terrasse orientale sont effectués pour réaliser un belvédère dominant l’étang des Chambres.

Ainsi, la campagne 2021 est riche en découvertes permettant de mieux comprendre l’agencement des bâtiments de l’abbaye de Grandmont et leur évolution au cours du temps, de leur période d’utilisation jusqu’à leur abandon puis leur démantèlement partiel ou total. Les bâtiments claustraux ouest et sud ont conservé des élévations médiévales précieuses pour connaître l’aspect des constructions et pour l’histoire des techniques. C’est également un atout majeur pour la valorisation du site et la création de modèles 3D permettant d’apprécier les volumes de l’abbaye. Les structures hydrauliques, jusqu’à présent très diffuses sur le site, sont concentrées dans un même secteur. Elles permettent de faire le lien entre le terrain et les découvertes sans cesse renouvelées de l’archéologie extensive dans la franchise de Grandmont. Enfin, la politique funéraire grandmontaine est l’un des axes de recherche les plus prometteurs, avec la pratique du dépôt d’ampoules en plomb ou encore la découverte d’un coffret-ossuaire en plomb.

La franchise de l’abbaye de Grandmont, c’est-à-dire sa seigneurie, constituée essentiellement aux XIIe et XIIIe siècles, s’articule autour de deux milieux géographiques bien distincts – les monts d’Ambazac au nord et le plateau du Taurion au sud – organisés autour de deux pôles : le pôle religieux, constitué par l’abbaye ; le pôle économique, symbolisé par la grange du Coudier. Insérés dans le système de communications régional, ces pôles sont à leur tour reliés à de très nombreuses métairies qui exploitent les deux milieux géographiques au plus près de leurs potentialités.
Le recours à la géomatique a permis d’étudier finement le parcellaire des environs de la grange monastique du Coudier, que la dendrochronologie vient de dater du milieu du XIIIe siècle. Cet ensemble se présente comme un véritable isolat au milieu des zones de parcelles beaucoup plus petites et morcelées qu’on peut lire dans l’espace des monts d’Ambazac et sur le reste du plateau du Taurion. Au total, ces grandes parcelles, nommées coutures, grandes-terres ou prés, représentent environ 179 ha, qui correspondent sans doute à l’assise territoriale initiale de la grange du Coudier.
Le recours à la technologie du LiDAR et l’exploitation d’un SIG permettent de cerner des évolutions dans l’organisation du territoire par les religieux. Ainsi, le village de La Chaise a été réimplanté à 400 m au sud de l’ancien site, en relation avec une vaste opération de redéfrichement. La datation de cette mise en valeur est délicate en l’absence de sondages archéologiques. Mais de nombreuses mentions de « prises nouvelles » (remise en culture) et d’essarts datent du XVIe siècle, après les crises de la fin du Moyen Age, qui ont certainement provoqué l’abandon de l’ancien site.

2022 marquera la fin de la fouille de la parcelle orientale (cimetière oriental et étude du réseau hydraulique) et verra l’ouverture d’une nouvelle aire de fouille dans les secteurs ouest et sud du cloître, sans aborder les bâtiments. Par ailleurs, un sondage limité au nord-ouest de l’église permettra de déterminer l’existence ou non d’un porticum dans ce secteur. La poursuite de la numérisation du lapidaire facilitera la reconstitution de certaines élévations de l’abbaye médiévale, qui s’accompagnera d’une mise en relation avec les dimensions décrites dans le rapport Naurissart de 1732.
Plusieurs analyses et études de mobilier, en cours ou à venir, sont programmées : mortiers, céramique, petits objets, tissu, détermination de l’origine des plombs et, surtout, approche complète du contenu de la tombe-reliquaire retrouvée cette année au centre de la nef.
Tant pour le bourg que pour la franchise, le traitement minutieux des données fournies par le LiDAR, avec des vérifications systématiques sur le terrain, demandera encore plusieurs années de patientes investigations, qui bénéficieront également des recherches menées sur les sources écrites, principalement d’époque moderne, conservées aux Archives départementales de la Haute-Vienne. Par ailleurs, la datation d’une partie de la charpente de la grange du Coudier a révélé l’ancienneté de ce bâtiment. Il conviendra donc d’être présent sur le site, peut-être sous la forme d’une surveillance de travaux pour nous laisser le temps de réfléchir à une stratégie (sondages, nouveaux relevés…).
Les fouilles révèlent peu à peu l’ampleur des bâtiments de prière et de vie des religieux ainsi que leur histoire, et livrent un mobilier à la fois riche et diversifié. Cette année, les premières investigations archéologiques dans la partie occidentale du site ont montré que les bâtiments ouest et sud du monastère étaient conservés sur plusieurs mètres de hauteur et comportaient un décor sculpté conservé en place et daté de vers 1200. Ces éléments ont motivé la mise en œuvre d’un projet de mise en valeur qui se décline en trois axes : obtenir un espace consacré à Grandmont au Musée des Beaux-Arts de Limoges ; traiter la partie orientale du site, très arasée, en utilisant la méthode de la réalité virtuelle ; mettre en valeur la partie occidentale, ce qui nécessitera un suivi immédiat de consolidation des murs, des décors, des accès et des sols. Pour piloter ce projet d’envergure, qui ferait de Grandmont au nord de Limoges, le pendant monastique du site castral de Châlucet au sud de Limoges, un comité est en cours de constitution.

1Cette datation est confirmée par le mobilier lapidaire retrouvé en remblai. N’oublions pas qu’un bâtiment important datable également de cette période a été détruit avant les travaux du XVIIIe siècle puisqu’on retrouve des réemplois contemporains dans les murs bahuts nord et est, dans les murs gouttereaux de la nef et dans le chevet de l’église médiévale.