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CAHMER
étude des sièges de pouvoir au Moyen Âge.

Le Cahmer (Centre d’Archéologie et d’Histoire Médiévales des Etablissements Religieux) est un centre de recherches (association loi 1901) hébergé par le centre d’études et d’exposition Antoine Vivenel à Compiègne. Il travaille sur les établissements religieux et les châteaux au Moyen Âge. Il réunit une équipe pluridisciplinaire de chercheurs.

Abbaye de Grandmont, com. Saint-Sylvestre, Haute-Vienne. Synthèse de l’opération de 2024

 

A la mort d’Etienne en 1124, ses disciples s’installent à Grandmont, sur un site de promontoire déjà occupé. Outre les indices récoltés lors des campagnes précédentes (datations par radiocarbone, céramiques alto-médiévales résiduelles, fosses), nous avons retrouvé, sous la cour du cloître, deux structures construites installées à travers le substrat qui contenaient quelques tessons (VIIe-IXe siècle) résiduels mais exclusifs. Un faisceau d’indices date l’état médiéval des bâtiments claustraux entre la fin du XIIe et le début du XIIIe siècle, ce qui pose la question de l’habitat monastique primitif. Dans la mesure où aucune structure antérieure n’a été trouvée dans cet espace sud de l’église, les frères ont dû d’abord s’installer au nord de l’abbatiale qui, elle, n’a pas changé de place entre leur arrivée et le XVIIIe siècle. Dans le cloître (1519 m2), deux périodes de réalisation correspondent à des moments importants de l’histoire de l’abbaye (fig. 1). Une première, vers 1190-1200, peut être mise en lien avec le transfert des reliques d’Etienne et sa canonisation, lesquels traduisent des changements au sein des mentalités grandmontaines qui ont pu fournir une occasion de reconstruction d’une partie de l’abbaye. La seconde renvoie aux années 1215-1225 qui consacrent la victoire du « clan clérical », laquelle a pu motiver une réorganisation des bâtiments conventuels, matérialisant dans la pierre la nouvelle hiérarchie entre les deux clans de la communauté. Le mobilier lapidaire atteste aussi l’usage de couleurs chatoyantes et d’éléments de différenciation des espaces liturgiques. Dès la fin du XIIe siècle, les réalités concrètes des religieux s’étaient donc bien éloignées de l’idéal primitif. Les études de ce mobilier (A. Ybert et Th. Derory) ont permis de proposer une reconstitution de deux travées de la galerie sud du cloître (fig. 2), qui montre la qualité de l’architecture grandmontaine du début du XIIIe siècle.

Une « archéologie de l’objet » a été réalisée à propos de la châsse de saint Etienne, conservée dans l’église d’Ambazac mais primitivement placée dans le choeur de l’abbatiale de Grandmont (M. Merle). Elle démontre qu’un seul événement est susceptible d’avoir nécessité la fabrication d’un objet qui proclame la sainteté de son contenu avec tant d’ostentation : la canonisation du fondateur de l’ordre en 1189. Relais matériel d’une campagne de promotion de son culte, la constitution de la châsse répond aux enjeux qui découlent de l’événement : montrer une communauté religieuse de nouveau unifiée autour des principes de son fondateur et la légitimité du nouveau saint. Les réalisations monumentales sont, plus que l’écrit, les preuves ostentatoires d’un retour à la stabilité, pour une communauté qui, ayant dépassé avec plus ou moins de succès une crise institutionnelle, veut se porter à la hauteur des autres grands centres monastiques, avec son riche trésor de reliques et son mobilier liturgique. Cette châsse est conçue pour être le témoignage de la réussite de l’ordre parce qu’elle est à la fois le reliquaire de son saint fondateur et un objet qui témoigne de ses moyens financiers, techniques et intellectuels.

Un sondage au pied du bâtiment sud a montré qu’il est assez solidement fondé, ce qui n’était pas le cas pour le bâtiment ouest. On peut donc envisager un terrassement de l’extrémité sud du promontoire, comme pour son rebord oriental. Installé sur des remblais moins stables que le rocher naturel, ce bâtiment aurait donc nécessité des fondations plus importantes, d’autant plus que son mur gouttereau sud forme terrasse. Une structure construite rectangulaire (5,14 x 1,15 m) vient s’accoler au mur dans sa partie orientale, côté cloître ; elle est ornée, à chaque extrémité, par une base de colonne réemployée (début XIIIe siècle). Son aménagement est-il contemporain de la reprise du mur bahut avec modification structurelle et désaxement ? La structure a-t-elle été pensée pour une fonction de monumentalisation de type funéraire ? Vers l’est, une niche, maçonnée dans le mur, pourrait correspondre à un armarium bien que ce genre d’aménagement soit plutôt placé près de l’église, donc à Grandmont dans la galerie nord. Lui succède un contrefort établi juste avant une grande ouverture dans le mur. Ce portail sud-est, qui fait pendant à la porte du réfectoire (au sud-ouest), est ornée d’une colonnette avec base insérée dans le piédroit. La présence d’un gond en fer montre que ce piédroit ne correspond pas à l’entrée d’un passage ouvert à travers le bâtiment mais bien à un autre accès monumental. Ledit bâtiment est équipé d’un dallage de belle facture et son parement interne, dégagé sur une petite longueur, a révélé un chapiteau engagé en place (début du XIIIe siècle). La situation élevée du chapiteau confirme sa fonction de réception des ogives du voûtement, vraisemblablement lancées de part et d’autre de la pièce sans support intermédiaire.

La partie orientale du mur bahut sud est arasée au niveau de l’assise devant recevoir les supports de piles et un massif sub-carré (1,30 x 1,20 m) accompagne un net décrochement vers le nord, qui correspond aussi à un changement structurel puisque la banquette disparaît. Cette section est formée de quatre modules appareillés, longs de 1,20 m pour 1 m de large. Tout à fait à l’est, l’amorce d’un gros pilier carré pourrait faire partie de l’angle sud-est du cloître. Dans l’angle sud-ouest, le dallage associé au portail du réfectoire (début XIIIe siècle) et le carrelage de la galerie ouest ont fonctionné ensemble, au moins un temps. Il convient donc d’envisager une galerie carrelée et un seuil de portail dallé. Le dallage est recoupé par la tranchée d’une canalisation construite, qui est probablement la poursuite de la conduit d’évacuation des eaux pluviales de la cour de cloître.

L’étude céramologique (B. Véquaud) montre que l’écrasante majorité du mobilier collecté entre 2021 et 2023 est moderne (XVIIe-XVIIIe siècle). Cela peut sous-entendre un entretien régulier, des lieux de vie et un renouvellement fréquent du mobilier céramique (nécessité, mode avec les céramiques d’importation…).

La structure du monastère n’a, en effet, pas subi d’importantes transformations jusqu’à la seconde moitié du XVIIIe siècle où s’opère une reconstruction totale. Le plan du nouveau monastère est radicalement différent de celui qui précède : une église déplacée au nord de l’enclos sur laquelle vient se greffer un long bâtiment nord-sud, avec une aile en retour vers l’ouest à son extrémité méridionale. Ce retour est aussi bien construit que l’aile principale avec de puissantes fondations à travers le rocher, en attente d’une poursuite vers l’ouest qui ne fut jamais réalisée. On implante une canalisation à travers la galerie sud du cloître médiéval pour évacuer les eaux en provenance de l’aile en retour, certainement réservée aux travaux domestiques. La tranchée a recoupé le dallage mais on a replacé grossièrement les dalles car les bâtiments médiévaux sud et ouest devaient encore servir. Plusieurs indices montrent aussi que les artisans travaillant à la nouvelle construction ont recyclé des matériaux provenant de l’ancien monastère (G. Loillieux) : récupération des canalisations et des plombs de vitraux ; refonte des vitraux (scories de verre) ; récupération d’éléments métalliques utilisés dans les maçonneries (résidus ferreux) ; refonte sur place indiquée par la présence de petites structures de chauffe.

 

La plate-forme sud (fig. 1), en dehors du carré claustral, a été appréhendée sous la forme d’une tranchée nord-sud qui a livré des structures construites (murs, sols), une stratigraphie et le premier témoin de la vie quotidienne à Grandmont (fosse dépotoir). Au nord, on trouve deux niveaux d’occupation : le plus ancien représenté par un angle de bâtiment associé à un dallage au sud-est et à un carrelage au nord-est ; le plus récent marqué par un vestige de mur associé à un dallage au sud-est. Au centre, une grande fosse ovalaire peu profonde contenait, outre une obole médiévale, un mobilier très abondant (faune, céramiques, verre, métal…) et caractéristique (tessons de grande taille) d’un dépotoir. Le comblement et le fond de la fosse sont percés par sept trous de pieux disposés selon deux alignements parallèles. Au sud, un mur bien parementé, de direction sud-nord, est équipé d’une large ouverture (1,50 m) aménagée à la jonction avec la terrasse haute. Une couche noire, accolée au sud-est, pourrait correspondre à un dépotoir en épandage.

 

Une importante investigation a été menée en bordure de l’étang des Chambres (fig. 3), au pied de la terrasse orientale (B. Bernaben). Perpendiculaire à cette dernière, une puissante structure parementée a été dégagée sur 13,50 m, depuis la chaîne d’angle orientale jusqu’à l’arrêt de fouille à 1,70 m du pied de terrasse. Huit assises ont été mises au jour sur une hauteur de 3,50 m, sans atteindre le fond. Cette structure, par sa localisation, son ampleur et la qualité de sa construction, pourrait correspondre au mur de soutènement d’une terrasse (ou digue ?) jouxtant l’étang. L’ouvrage est antérieur au XVIIIe siècle et à la reconstruction de l’abbaye.

Perpendiculairement à ce dernier (à 1,50 m vers le nord), une autre structure, composée de deux parois parementées disposées de biais, se termine vers le sud par des assises trapézoïdales qui font la liaison entre les deux parois. Les cinq assises en élévation du côté oriental, soit une hauteur de 1,80 m, portent des traces de joints au mortier hydraulique. A l’extrémité sud de l’ouvrage et à sa base, une ouverture aménagée débouche sur un aqueduc. L’extrémité des assises jouxtant cette ouverture est dotée d’une feuillure permettant la manœuvre d’une pelle pour la vidange. L’aqueduc couvert se dirige avec une forte pente vers l’hypothétique terrasse, qu’il franchit grâce à une nouvelle ouverture appareillée pour continuer en souterrain. S’agit-il d’un des « réservoirs de poisson » vus à cet endroit par Naurissard en 1732 ou d’éléments liés à un moulin ?

Une canalisation de direction nord-sud recoupe le puissant mur parementé ; ses deux parois internes, séparées de 0,40 m, présentent des traces de joints au mortier hydraulique. Cet ouvrage jouxte la berge de l’étang, constituée d’un mur incliné (sept assises) et d’un couronnement droit (deux assises). L’espace (1,40 m) compris entre la berge et la canalisation est occupé par un blocage de pierres. Une concordance hydraulique permet d’interpréter cette canalisation comme le coursier du petit moulin mentionné en 1792 mais non en 1732. Sa construction serait donc peut-être contemporaine de l’édification de la nouvelle abbaye.

 

Une synthèse provisoire (J.-M. Popineau et M. Larratte) des recherches menées sur le territoire de la Franchise (domaine vivrier) permet d’avoir une première vision sur les étapes de l’aménagement de cet espace. Le territoire est déjà mis en valeur au haut Moyen Age : des témoins ont été mis au jour sur le promontoire où se dressera le monastère et, à 1 km au nord-est, l’étang des Sauvages est déjà en place. Il est possible de rattacher à l’époque de l’arrivée des religieux quatre sites probables d’éperons barrés, situés le long de la principale voie d’accès à l’abbaye. Le relevé LiDAR a aussi permis de localiser des carrières aux abords de l’abbaye ; l’une d’elles présente une ébauche de colonne en place. Dans le dernier tiers du XIIe siècle, la Franchise est étendue au-delà de la zone montagneuse de la donation initiale. Un habitat abandonné a été identifié au lieu-dit « Chaizes-Vieilles », à 400 m au nord du village actuel. Les grandmontains profitent aussi de leur implantation dans une zone fertile pour y construire une grange datée par dendrochronologie entre 1240 et 1264. Sa superficie (1200 m²) est comparable aux vastes granges monastiques du Bassin Parisien. La Franchise, alors constituée et homogène, est matérialisée par d’épais murs, parfois dotés d’édicules attenants.

La situation économique, fortement perturbée durant les crises de la fin du Moyen Age, s’améliore progressivement à partir du milieu du XVe siècle. Les religieux cherchent alors à restaurer leurs droits ; le terrier, dressé à cet effet en 1496, fournit un terminus ad quem pour quantité d’éléments retrouvés en prospection, comme les métairies. Une vaste opération de reprise en main de la Franchise est lancée afin d’en tirer toutes les ressources possibles. Les textes offrent des témoins d’opérations de (re)défrichement et la prospection a enregistré tout un « bocage de pierre » constitué de petites parcelles entourée de murets. Dans certains cas, on a pu dater leur mise en place, comme pour le parcellaire des Sauvages qualifié de « prise nouvelle » au XVIe siècle. La partie de la Franchise formant l’interface entre zone montagneuse et zone plane fait l’objet des plus grandes opérations de défrichement : l’habitat des « Chaizes-Vieilles » est abandonné au profit du village actuel de La Chaise, qui présente une structure de villeneuve au plan orthonormé. La confrontation des textes et du terrain a enfin permis d’apprécier l’ampleur des (ré)aménagements hydrauliques : chaussées d’étang, moulins, systèmes d’irrigation, adductions d’eau potable…

 

Philippe RACINET


« L’archéogéographie des territoires de l’Oise (2024)

Le CAHMER accompagne depuis 1995 un programme d’études archéogéographiques des territoires de l’Oise. La méthode croise la prospection à vue, l’étude de la documentation de géographie historique en archives (documents écrits et planimétriques) et les autres sources (LiDAR, enquête orale, orthophotographie, archéologie monumentale…). La campagne 2024 s’est concentrée sur sept communes : Baron, Chantilly, Nanteuil-le-Haudouin, Rhuis, Rully, Senlis et Villeneuve-sur-Verberie. La campagne s’est faite cette année en collaboration avec les sociétés savantes locales comme la Société d’Histoire et d’Archéologie de Senlis, Histoire et Archéologie de Nanteuil, les Amis du prieuré de Bray, avec le Parc Naturel régional Oise-Pays-de-France, avec Aquilon, bureau d’études spécialisé en monuments historiques et archéologie et avec l’École nationale supérieure de Paysage (Versailles). Le CAHMER possède également son siège social dans l’Oise à Compiègne et sa bibliothèque à Senlis. La restitution des recherches isariennes se fait au moyen de publications d’articles scientifiques et/ou de conférences à destination du grand public :

Recherches en cours

« Prospection terrestre en forêt de Chantilly au moyen d’un relevé LiDAR » (PNR Oise Pays-de-France dir. ) ;

« Baron, étude archéogéographique » (Société d’Histoire et d’Archéologie de Senlis) ;

« Le jardin à la française du château de Nanteuil-le-Haudouin » (Histoire et archéologie de Nanteuil) ;

Publications 

« Le terroir de Rouanne (Oise), Nanteuil-le-Haudouin (Oise), Boves (Somme), Grandmont (Haute-Vienne) », in « Fouiller le Moyen Âge, miscellanées offertes à Philippe Racinet, professeur d’Histoire et d’archéologie médiévales à l’Université de Picardie Jules Verne », Histoire médiévale et archéologie vol 37, Compiègne, 2024, p. 17-34

« Une commune, trois paroisses aux confins du Pays de Senlis et du Valois » et « Les communications à Rully » in Le Prieuré de Bray-sur-Aunette, son territoire, et son histoire, de l’Antiquité à nos jours, ouvrage collectif sous la direction de N. Bilot, Les Amis du Prieuré de Bray, Rully, 18 octobre 2024, 236 p.

Conférences/visites 

« Des fortifications collectives inconnues : Villeneuve-sur-Verberie et Nanteuil-le Haudouin » (février 2024, Société d’Histoire et d’Archéologie de Senlis) ;

« Histoire du vélodrome de Senlis, contribution à l’année olympique », (avril 2024, avec G. Bodin, Société d’Histoire et d’Archéologie de Senlis) ;

Visite commentée à Rhuis « Atlas des Paysages, la Vallée de l’Oise, de Compiègne à Senlis » (avril 2024, École nationale supérieure de Paysage dir.) ;

« Le patrimoine des réseaux et des communications à Senlis » (Randonnée du patrimoine, septembre 2024 Société d’Histoire et d’Archéologie de Senlis) ;

« Le terroir de Rully et Bray des origines à la fin du Moyen Âge » (octobre 2024, Société d’Histoire et d’Archéologie de Senlis) ;


La dernière intervention archéologique de terrain sur l’éperon barré de Murat « Les Tours » (2024)

La campagne 2024 marque la dernière intervention archéologique de terrain sur l’éperon barré de Murat « Les Tours », après une décennie uniquement interrompue entre 2022 et 2023. C’est aussi le début de la troisième autorisation triennale (2024-2026) qui vise à conduire à son terme les analyses et les études des artefacts et écofacts recueillis sur l’éperon, ainsi que ceux du sondage exploratoire au sein de l’aire cimétériale de Murat (48 m²). Les motivations de ce programme scientifique furent de deux ordres. Dans les années 1960, le service vicinal ouvra une carrière de pierraille au sein de l’éperon pour la réfection de la route de Mérignat (D22), depuis la route du Moulin de Murat. Les traces de « calcinations sur les roches », d’une couche de cendre à 1 m sous le niveau du sol actuel et des fragments de meules, d’os, de poteries, de silex taillés furent répertoriés grâce aux observations avisées de l’Association Les Compagnons de la Tour, trois bénévoles archéologues de la région de Bourganeuf qui se questionnèrent dès lors sur l’existence d’une motte féodale. Il s’agit à proprement parler des inventeurs du site, le site n’apparaissant dans aucune publication avant 2013. Cette carrière resta en sommeil jusqu’au milieu des années 1990, marquant une nouvelle décennie d’extraction de pierres entamant à terme 40 % de la plateforme sommitale environ. Le Service régional de l’Archéologie est alerté par un prospecteur bénévole de Murat à la fin des années 2000. Un premier reportage photographique des « terres noires » dans le front de taille de la carrière est effectué à l’hiver 2010, donnant lieu à une première phase d’étude documentaire et topographique de 2011 à 2012. Cette couche d’occupation, à l’aide d’une analyse radiocarbone, fut attribuée aux années 766-892, horizon chronologique confirmée par les rares tessons de poterie accompagnant cette unité stratigraphique. C’est donc dans un contexte d’urgence que tient la motivation première de cette opération archéologique. Par la suite, la confiance des propriétaires du terrain et l’anthropisation constatée du site jusqu’au substratum lors des sondages manuels en tranchée des années 2013-2015, permit d’inscrire pleinement ce site dans la problématique des sites et/ou habitats fortifiés du haut Moyen Âge. Ces travaux bénéficièrent des orientations précédemment fournies par les deux Projets collectifs de Recherche (Morphologies et mutations du castrum – L’exemple du Limousin, Xe-XIVe siècle et Fortifications et résidences des élites du haut Moyen Âge qui, tout en ignorant l’existence de Murat, contribuèrent à fournir un cadre de réflexion. Loin de la convergence heureuse des textes et des multiples castra du sud limousin, le centre est de l’ancien diocèse de Limoges parcouru par la vallée du Thaurion se découvre sur cette thématique pour la première fois avec la fouille de Murat.

 

Plus spécifiquement, la campagne 2024 a permis d’achever la fouille de deux entités périphériques (fig.0) participant à la mise en défense de l’éperon, d’une part le fossé occidental supérieur (secteur 1, 330 m²) et d’autre part le rempart vitrifié ceignant le rebord nord de la plateforme sommitale (secteur 2, 80 m²). Le fossé occidental supérieur (Us 1084) a été exploré une première fois dès la campagne 2013, élément topographique prépondérant de la topographie bouclant la pointe de l’éperon et de la confluence du Thaurion et de La Leyrenne. Il est creusé dans une roche métamorphique gneissique aux faciès hétérogènes, de zones fracturées par de multiples microfailles à des parois d’une extrême dureté. La section dégagée en 2013 avait révélé un fossé en U d’une largeur de 10,70 m à fond accidenté pour une profondeur d’entaille du rocher de 2,40 m côté escarpe (394,54 m NGF), de 0,35 m côté contrescarpe (394,26 m NGF). Ces travaux circonscrits dans le rocher étaient augmentés d’une part par l’élaboration de talus empierrés adjacents donnant à l’escarpe (399, 77 m NGF) une hauteur de 6,20 m depuis le fond et de même manière, une hauteur de 3 m à la contrescarpe. D’autre part, contrescarpe et escarpe étaient marquées à leur base par une entaille droite à travers le rocher, tendant même à une excavation en pied d’escarpe nécessitant à tout assiégeant d’escalader littéralement le rocher. Le remplissage du fossé s’était signalé par son caractère vierge d’artefacts dans un assemblage de terres organiques végétales avec une proportion de pierrailles plus importante en pied d’escarpe. Le fond schisteux argileux par endroit avait formé une croûte indurée suite aux ruissellements durant la phase de fonctionnement, remplissant les interstices rocheux, n’abondant pas non plus en mobilier archéologique.

La gestion des remblais de fouille a condamné par la suite durablement ce secteur, notamment lors d’un premier transect complet du coteau ouest en 2015 permettant de signaler un fossé inférieur (Us 1085), investi en 2016, et toujours aujourd’hui considéré comme stratigraphiquement antérieur à 1084 malgré une analyse radiocarbone contradictoire (Ly 13229, 969-1046).

La campagne 2024 marqua donc la reprise et l’achèvement de la fouille totale du fossé 1084. La première étape fut un décapage mécanique de 3 jours pour en retirer les remblais de fouille et décaper les 0,80 à 1 m de comblement en place et en partie mécanisée, suivie d’une fouille manuelle d’une durée de 13 jours (fig.1). La majeure partie du fossé confirme les conclusions des observations de 2013 modifiant uniquement notre perception initiale du fossé, moins convexe qu’attendu, son gabarit se tenant à un U à fond accidenté et en pente relative (7 %) sur les deux tiers de son tracé depuis le coteau de La Leyrenne (17 m), marqué par un point haut (394,58 m NGF ; fig.2), et une section sud de près de 9 m à 13 % de pente vers le Thaurion 5 (fig.3). Ce segment méridional a été amoindri brutalement lors de l’élargissement de la route au cours de la première moitié du XXe siècle, son dernier pan montrant les traces des fracturations induites par les explosifs du génie de la voirie. C’est dommageable dans le sens où la relation fonctionnelle avec l’éperon rocheux naturel à proximité est perdue. La fouille de la section sud du fossé de barrage (2021) avait montré l’intégration d’un même élément naturel à l’escarpe du fossé. Dans le cas présent, la courbure naissante à la limite méridionale du fossé conservé porterait à croire que l’éperon naturel participa à l’escarpe du fossé 1084.

Le remplissage du fossé confirme son caractère entièrement vierge, une propreté qui n’a révélé qu’un galet lisse (polissoir ?), des résidus informes de terres cuites architecturales de moins de 2 cm de diamètre, un fragment de briques avec le négatif d’une patte de chien ainsi que deux blocs de schiste (taillés ?), tous déposés sur cette couche argileuse indurée mentionnée précédemment. Les extrémités apportent toutefois une précision stratigraphique. À ces endroits marqués par un renfoncement du fossé qui en a favorisé le piégeage, le fond argileux tapissé d’une terre pulvérulente brune était scellé par un lit de pierrailles (Us 1557,1558, 1559) attestant possiblement des travaux engagés pour la réalisation de la levée défensive occidentale, structure marquée par sa vitrification. En effet, dans le remplissage 1559 plus particulièrement (fig.4), et en un seul point de la contrescarpe, des fragments de tegulae associés à des roches vitrifiées de petit gabarit ont été collectés, ainsi qu’un fragment de meules ayant subi une forte chaleur désagrégeant partiellement le faciès granitique. Ce phénomène est attesté pour tous les fragments de meules (La Tène finale) mis au jour dans les zones vitrifiées. Des fragments de poutres calcinées et deux céramiques pris dans ces amas de pierre 1559 donneront, on l’espère, des éléments chronologiques qui nous font défauts sur les structurées fossoyées du site. Enfin, les protections mises en place sur les extrémités ouest des édifices 5 et 1 ont permis, trois ans après leurs premières fouilles, de procéder pour vérification un deuxième nettoyage de cette zone afin de confirmer les dispositions des poteaux jusqu’à l’escarpe. Lors de la dernière campagne (2021), deux creusements isolés avaient été localisés en limite de berme ouest. L’ouverture complète du secteur en 2024 confirme l’isolement de ces creusements, et interrogera pour toujours l’existence d’un potentiel édifice, détruit par le creusement du fossé 1084, les édifices 1 et 5 datés du haut Moyen Âge étant scellés par la levée défensive occidentale. Peut-être ces vestiges sont-ils d’ailleurs la trace d’une occupation plus ancienne arasée par les aménagements médiévaux lato sensu.

Le secteur 2 a été placé dans le prolongement oriental d’une aire de fouille ouverte en 2018 au niveau du coteau nord du promontoire (fig.5), motivée à la suite d’un premier sondage en 2016 (sondage 6) qui avait révélé une amplitude stratigraphique conséquente constituée de plusieurs terres noires, de poutres calcinées et pierres vitrifiées, le tout scellé par une terre hétérogène pulvérulente noire qui avait livré un scodellato de l’empereur Bérenger Ier (Us 1098, 915-924). Il a été décidé de maintenir un terreplein entre les deux zones pour conserver une stratigraphie témoin, dans un contexte d’évaluation des dégâts occasionnés par la carrière que l’on perçoit particulièrement bien sur la figure 5, le bâtiment 3 ayant été partiellement détruit par l’activité contemporaine. Le décapage mécanique a permis de visualiser sur une distance de 9 m un segment entièrement intact du rempart vitrifié, s’ajoutant au 6 m dégagé en 2018, documentant les matériaux mis en œuvre ainsi que le processus de vitrification à travers trois transects stratigraphiques (fig.6). Le remblai pulvérulent orangé 1111, comportant uniquement des artefacts protohistoriques (meules, céramiques), a été creusé depuis le nord sur une soixantaine de centimètres de profondeur et sur plus de 1,30 m de large (Us 1417) pour créer une surface horizontale permettant de disposer un lit de poutres sur lesquelles ont été déposés des amas de pierre (schiste) adjoints de centaines d’esquilles d’os. Un clou et un fer à cheval y ont été également retrouvés. L’ensemble est scellé par un niveau de terres charbonneuses (Us 1098) que l’on aura garde de confondre avec les terres noires 1028 de l’occupation principale. Le rempart s’affranchit de la ligne de crête, son emprise prenant une légère direction nord nord-ouest / sud sud-est, en légère pente donc. En plan, on a pu parfaitement distinguer l’enveloppe organique calcinée (bois d’œuvre), les foyers centraux (cailloux rubéfiés) et les zones de vitrification (violet) se concentrant contre le rebord nord du rempart, déterminant le vent dominant. L’enrochement entre les deux lignes de poutres (supérieures et inférieures) ait particulièrement massif (fig.7). L’enjeu était la stabilisation de la structure durant son inévitable ploiement engendré par la combustion volontaire des poutres, sa stabilité potentiellement fragilisée par ailleurs par une rupture rocheuse d’origine anthropique parcourant tout le pourtour du coteau, front de taille d’un mètre de haut tout au plus et distant de 7 m de la plateforme sommitale. Ainsi, dans le cas présent, le rempart vitrifié pour sa partie reconnue s’intercale entre la zone d’habitat et cette rupture qui devait accroître visuellement comme matériellement le caractère inexpugnable du site. Au terme de cette recherche, les deux lignes de vitrification (ouest et nord) n’ont aucune relation stratigraphique avérée par la fouille. La connexion entre le rempart nord et le talus défensif oriental, où la vitrification n’a pas été employée, reste non documentée par l’archéologie. La profonde entaille constatée en limite est de l’aire de fouille du secteur 2 laisse un doute quant à sa préservation.

 

L’achèvement de la fouille de terrain s’est prêté à un conditionnement définitif des artefacts. Le site aura livré notamment 26 monnaies de l’extrême fin du IXe – premières décennies du Xe siècle, 864 tessons de céramiques dont une petite cinquantaine protohistorique, 638 objets métalliques tous radiographiés dont 23 déjà restaurés (88 stabilisés), près de 7000 restes fauniques, mais aussi 15 fragments de meules de La Tène finale, 10 aiguisoirs, 1 hache polie et une petite dizaine de nucleus en silex, 291 fragments d’amphores et des fragments de tegulae et imbrices principalement dans les zones vitrifiées soit 250 kg de rejets, seuls les céramiques, les objets métalliques et les monnaies pouvant, mais pas tous, se prévaloir d’un dépôt primaire. Il s’agit donc avant tout de pertes résiduelles à la représentativité à interroger avec précaution. Le corpus matériel de Murat précéderait les corpus encore peu étudiés des sites du Dognon (Cantié 1981-1991) et de Drouilles (Gady 2000-2004), datés du XIe siècle au plus tôt qui ont l’intérêt comme Murat, de se situer sous l’emprise comtale marchoise dès le XIe siècle.

 

La campagne a profité également de l’étiage estival du barrage hydroélectrique de la Roche Talamie pour procéder à un nettoyage des vestiges du pont médiéval du moulin de Murat. Les boues accumulées depuis 1931 ont été retirées pour mettre à nu les culées et procéder à un nettoyage sélectif du fourrage du tablier, les pierres de taille résiduelles du parement jonchant le lit de la rivière. Les deux culées sont en pierre granitique installées directement sur la roche entaillée à cet effet (fig.8). La portée du pont mesure 6,10 m pour 2,30 m de large conservée et se place à 1,70 m au-dessus de la ligne d’eau. Les parements de la culée, maintenus sur trois assises, mesurent 0,36 m de haut.

 

La nouvelle triennale vise également à interroger le particularisme de Murat en explorant les sites d’éperon de la vallée du Thaurion. En aval de Murat, les sites du Châtelard (Les Billanges, 87) et de Peyrusse (Châtelus-le-Marcheix, 23) ont été prospectés, deux éperons fortifiés rive droite du Thaurion comportant des ruines maçonnées à l’extrémité d’enceinte au périmètre réduit à moins de 2 ha. Leur apparente notoriété bibliographique, mieux documentés en sources écrites, ne se départent pas d’une situation de profonde méconnaissance quant à leur origine et leur organisation spatiale.

 

Enfin, les vestiges du lieu de culte de Murat mis au jour en 2021 méritaient des comparaisons d’édifices rectangulaires. À cette fin, la chapelle de Champroy (XIVe siècle, commune de Saint-Dizier) répondant à cette typologie a fait l’objet d’un relevé topographique et d’une couverture photographique, des travaux en cours de jointement en ciment recouvrant de précieuses informations (fig.9). La paroisse est fondée vers 1150 par le seigneur de Peyrusse, à la garde des chanoines augustins de Bénévent. Michel Aubrun a remarqué que la région de Bourganeuf concentre une foison de créations paroissiales aux XIᵉ et XIIᵉ siècles à l’instigation des récents établissements religieux. La paroisse de Murat aurait pu apparaître durant cette période, avec une forme architecturale rectangulaire (5,90 m de large) comme à Champroy (10 x 6 m), un modèle reconnu également à Touls-Sainte-Croix (14 x 8,50 m) daté de l’époque mérovingienne au XIe siècle.

 

Ces prospections et la compulsation des corpus mobiliers du secteur seront poursuivies ces deux prochaines années pour explorer la culture matérielle de cette vallée du Thaurion dont Murat est aujourd’hui le point le plus ancien attesté.

Figure 1. Vue générale du secteur 1 en fin de campagne 2024. Vue drone A. Larigauderie

Figure 2. Le tronçon nord du fossé 1084. Vue du nord-ouest

Figure 3. Le tronçon sud du fossé 1084. Vue du sud

Figure 4. Les amas de pierre 1559. Vue du nord-ouest

Figure 5. Vue générale du secteur 2 en cours de fouille. Vue drone d’A. Larigauderie

Figure 6. Le rempart vitrifié du coteau nord en fin de fouille. Vue du sud-est

Figure 7. L’enrochement interne du rempart vitrifié. Vue du nord

Figure 8. Le pont du moulin de Murat sur La Leyrenne. Vue drone A. Larigauderie

Figure 9. La chapelle (paroisse jusqu’en 1837) de Champroy. Vue du nord-ouest

Saint-Dizier Leyrenne (CREUSE). Murat « Les Tours »

Nature de l’opération : fouille programmée ; archéologie du bâti
Période historique :, Haut Moyen Âge, Moyen Âge classique,

Murat, ancien chef-lieu paroissial et seigneurial du comté de la Haute-Marche, est rattaché aujourd’hui à la commune de Saint-Dizier-Leyrenne. Cet habitat est implanté en rebord de plateau à la confluence de La Leyrenne et du Taurion. A une cinquantaine de mètres au nord-ouest des premières habitations, le site étudié occupe l’extrémité de la confluence, dominant d’une trentaine de mètres les deux cours d’eau. Il s’agit d’un promontoire rocheux orienté sud-est/nord-ouest, barré par un profond fossé anthropique, définissant une surface d’environ 1,5 ha dont seule 2500 m² est habitable. La série de huit datations radiocarbones, à défaut d’un mobilier archéologique datant (174 tessons ; 58 objets métalliques ; 1 denier scodellato de Béranger 1er, empereur de 915 à 924) permet de situer l’occupation du site entre la seconde moitié du VIIIe siècle et le IXe siècle de notre ère, pour un abandon au cours du Xe siècle. Quelques amphores de forme Dressel 1B (193 tessons) dans les remblais de nivellement de la plate-forme suggèrent à proximité une occupation de la Tène finale.
Cette fouille programmée confirme la complexité de ces sites perchés d’éperon ou de confluence, globalement toujours classés dans la catégorie des sites anhistoriques tant qu’une fouille et des datations par radiocarbone ne viennent pas appuyer la détermination chronologique et fonctionnelle des édifices qui se sont établis sur la plate-forme. L’oppidum de Murat connaît, entre le VIIIe et le Xe siècle, une occupation dense et organisée de sa plate-forme. Un solide habitat en bois sur sablières basses s’y établit sous la forme d’au moins trois bâtiments d’une superficie dépassant les 30 m², l’ensemble étant défendu par un grand fossé oriental et un petit fossé occidental tourné vers le cours aval du Taurion (Figure 1). A la suite d’un important incendie, une nouvelle phase d’occupation se déroule avec l’édification du rempart vitrifié occidental, précédé d’un nouveau fossé plus haut, et le renforcement de la périphérie de la plate-forme, employant également la vitrification des roches. Cette phase induit la réduction de toute l’extrémité occidentale de la plate-forme, qui est désormais réservée à la défense du site. Un point particulier est l’usage qui est fait du bois dans la défense et plus généralement dans l’aménagement du site. Pour les différentes phases d’occupation, le bois et sa calcination est une méthode volontairement employée pour stabiliser les amas de remblais disposés sur les extrémités et les pentes supérieures de l’oppidum.
L’habitat fortifié résidentiel de Murat livre, selon nous, un éclairage saisissant sur les techniques de construction, la mise en défense du site et sur la forme prise par l’habitat. L’organisation spatiale ordonnée est évocatrice d’un pouvoir maîtrisant de bout en bout les moyens de sa mise en œuvre et œuvrant dans le but de défendre et de contrôler la vallée du Taurion. En l’état actuel de nos connaissances, la pauvreté matérielle résiduelle ne permet pas de rattacher ce site à une aire d’influence spécifique.

Responsable de l’opération : Richard Jonvel

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