Boves

Bilan scientifique 2022 – site castral de Boves (Somme)

La fouille archéologique pluriannuelle du site castral de Boves a mené en 2022 sa trente-sixième campagne de terrain. Elle s’est déroulée du 30 mai au 2 juillet dans des conditions météorologiques favorables, parfois caniculaires, très différentes de l’ambiance pluvieuse de 2021. La campagne 2022 a porté sur une surface de 1001 m² à travers l’ouverture de quatre secteurs sous la direction de quatre responsables de secteur (figure 1). Une équipe d’une quarantaine d’étudiants a participé à cette campagne. Depuis 2014, la première enceinte ou cour basse du château de Boves fait l’objet d’investigations archéologiques. Le secteur 1 de l’Aire IV d’une superficie de 3571 m² a majoritairement été investi par les neuf campagnes précédentes. Cette année a permis d’amorcer la réduction progressive des aires de fouille encore actives dans ce périmètre. Au terme de ce premier secteur de fouille dans la première enceinte du château, le terme « basse-cour » n’apparaît plus approprié. La cour basse étudiée alterne des phases de connexion et de déconnexion avec la cour palatiale puis seigneuriale entre le Xᵉ et le XIIᵉ siècle ; la « basse-cour » de l’image d’Épinal semble naître au moment où l’occupation s’y estompe. Au XIIIᵉ siècle, la place est vide alors même que la vie seigneuriale et la seigneurie de Boves apparaissent dans leur plus grande vigueur. Avant cette période, l’occupation de la cour basse est dense, organisée à travers un réseau de voiries et de cours, qui dessert des bâtiments sur poteaux de grands gabarits laissant entendre des étages. Le mobilier archéologique d’une grande variété offre des correspondances typologiques avec la haute cour. Les distinctions sont subtiles et nécessitent des analyses approfondies pour préciser les différences entre les deux espaces. Mais on reste sur une idée encore bien incertaine sur l’évolution de ce quartier médiéval. Les plans complets d’édifice sont encore rares et on évolue au sein d’un habitat dont on ne maîtrise pas encore les limites.

Le secteur Bâtiment 2 (figure 2), ouvert depuis 2014, a vu s’achever la fouille d’un vaste bâtiment de vannage de 176 m² (phase A). Il se compose d’une halle de plain-pied avec dans le vaisseau central une mezzanine. La spécificité des restes organiques conservées in situ, des centaines de milliers de grains céréaliers, a motivé dès 2020 la mise en œuvre d’un carroyage formant 420 carrés de 0,50 m de côté divisé en quart à destination d’un géoréférencement précis des artefacts et des prélèvements d’un peu plus de 4000 L de sédiments. Les données carpologiques se présentent ici sous la forme de grains carbonisés d’une conservation exceptionnelle, bien loin de l’état des lots minéralisés recueillis sur la plate-forme, objets d’une première thèse (Preiss 2011). Cette stratégie de fouille a largement servi l’étude rigoureuse des neuf états de terres noires et préparations crayeuses déterminés à travers les sept pièces du bâtiment 2. La disposition des zones de chauffe, des cloisons mobiles, des fosses dépotoirs et des centaines de trous de piquets complètent le panorama de l’organisation interne de l’édifice. Toutes les datations convergent vers le Xe siècle avec un abandon situé entre 990 et 1020 de notre ère. L’emprise de l’édifice se superpose à une cuvette argileuse qui sera l’objet des investigations de 2023 car le caractère uniquement naturel de cette « dépression » se pose.

Le secteur Tour, à l’est du bâtiment 2, correspond au bâtiment 14 qui paraît piloter, selon la fenêtre archéologique actuelle, l’organisation du quartier médiéval. L’édifice sur fondation en pierre d’1,10 / 1,30 m de large est partiellement reconnue en raison de son extension hors de l’aire de fouille. Ses deux sols intérieurs n’ont apporté aucune information sur l’usage de cet édifice qui pourrait être une tour au sein de l’enceinte. Une cour soigneusement réalisée en galets de rivière et cailloutis de craie s’étend au nord de cet édifice. La pérennité de celui-ci est confirmée par les 0,80 m de sols successifs qui s’adossent à l’encontre de la fondation du bâtiment 14, ces couches remontant au plus tôt actuellement à la seconde moitié du Xᵉ siècle. On constate d’ailleurs que les bâtiments 2 et 14 sont légèrement orientés différemment, malgré leur accolement. Cet édifice a la particularité par rapport aux édifices de la phase A, le bâtiment 2 en étant le seul reconnu complètement, de survivre à une importante phase de nivellement du terrain qui se traduit par un apport en milliers de m3 de matériaux crayeux (phase B1). L’occupation primitive se voit ainsi effacée du paysage, à l’exception du bâtiment 14, mais pas des mémoires (phase B). En effet, la cour du bâtiment 14 est employée à desservir de nouveaux édifices qui ne rompent ni les axes de circulation antérieurs ni la disposition générale des précédentes constructions. La phase B1 correspond donc à un évènement extrêmement rapide, avec maintien de la population fine connaisseuse du terrain. L’évènement se situerait vers les décennies 1020 – 1030. L’hypothèse actuelle est d’associer cet évènement majeur avec la réalisation du fossé défensif de la motte castrale. Le phénomène est unique et marque probablement une étape importante dans l’organisation du château. C’est la première fois, à travers les vestiges rencontrés dans la cour basse, que la présence du château se fait remarquer. Le bâtiment 14 est abandonné au plus tard au XIIIᵉ siècle, les remblais issus de sa récupération minutieuse sont recouverts par un nouveau réseau de voirie (phase D) dont de belles ornières ont été mises au jour cette année.
Les secteurs Bâtiment 2 et Tour recouvrent une première aire d’ensilage qui regroupe actuellement une dizaine de silos (phase A1). Son importance et la nature de l’habitat qui l’accompagne ne sont pas encore bien comprises. En revanche, sa structuration se perfectionne ultérieurement sous la forme d’un parcellaire rayonnant autour du bâtiment 2. En 2022, le secteur Sud, de 110 m² environ, a permis de circonscrire la troisième parcelle de ce type observée uniquement entre les bâtiments 2 et14 au nord et les puits et ouvertures de carrières au sud. Ces trois parcelles comptabilisent à ce jour 80 silos. Une dizaine de silos ont pu être fouillés entre les secteurs Tour et Sud. Les profils sont majoritairement cylindriques pour des profondeurs dépassant majoritairement 1,20 m. Les remplissages sont de deux types, diamétralement opposés. La majorité offre un remplissage crayeux vierge de tout mobilier. On les associe volontiers à des abandons suivis d’une nouvelle réalisation, parfois recoupant le précédent creusement. Une minorité est employée comme fosse dépotoir où le mobilier métallique, appartenant au domaine équestre et militaire, est particulièrement bien représenté.
Ce secteur Sud a la particularité de se situer sur une surélévation du plateau crayeux, ayant favorisé l’érosion des sols, que ce soit naturellement ou volontairement. Mais l’abaissement progressif du terrain vers l’est a permis, à cet endroit du secteur (ouvert depuis 2014), la préservation de quelques surfaces de circulation dont l’extension s’améliore toujours un peu plus vers l’est. L’aire d’ensilage (phase A) fait place à des fonds de cabane et des édifices sur poteaux (phases B, C) recoupant le remplissage des silos. Quelques soles foyères permettent de situer quelques intérieurs d’édifices. Toutefois, ces données restent encore fragmentaires, loin de la qualité des terres noires des édifices plus au nord ou plus au sud. Tous ces vestiges, dont les fourchettes chronologiques annoncent un abandon au plus tard vers 1150, sont recouverts par des remblais de terres grises détritiques (restes fauniques). Celles-ci marquent un arrêt brutal de l’occupation en corrélation avec la mise en place du nouveau réseau de chemin évoqué. Le mobilier céramique est d’une très grande pauvreté, les tessons du XIIIᵉ siècle ne dépassant pas la centaine de fragments recensés, période transitoire se poursuivant tout au long du XIVᵉ siècle. C’est l’érection du château des Ducs de Lorraine qui favorise un nouvel aménagement au sein de la cour basse. Une rampe d’accès est mise en œuvre pour desservir le nouveau châtelet, branchée directement sur la voirie médiévale comme on a pu le constater cette année, avec un recouvrement partiel. Cette nouvelle cour libre de construction à proximité du châtelet est modifiée tardivement, au cours de la seconde moitié du XVIᵉ siècle. Une défense avancée en forme d’éperon est élevée en débord sur les voiries existantes. La voirie centrale devient alors inutilisable. Les deux maçonneries à pan coupé que l’on suit depuis la contrescarpe du fossé de la motte, se rejoignent pour ne former qu’une seule maçonnerie annonçant une porte, qui échappe de peu à l’aire de fouille actuelle. Ce phénomène marque la troisième et dernière influence du château sur sa cour basse.
Le secteur Nord a largement été délaissé jusqu’en 2018, convaincu que nous étions de la totale inexistence d’une occupation au pied de la motte secondaire faisant suite aux repérages de 2012, puis 2014. L’imposant remblaiement évoqué ci-dessous explique ce premier jugement que les dernières campagnes ont largement contredites. La motte secondaire est érigée au moment où l’occupation de la cour basse s’estompe, vers le milieu du XIIᵉ siècle. Sa construction pourrait être associée au nouveau château des sires de Boves construits à la même époque. Son emprise recouvre en tout cas les occupations structurées des phases A et B. Le doute subsiste pour la phase C où une coexistence est tout à fait envisageable, la difficulté résultant des données encore éparses conservées pour cette phase. Les bâtiments 15 (phase A) et 16 (phase B) en cours de fouille en 2022 livrent des plans tout à fait comparables aux édifices plus au sud, et s’étendant sous la motte secondaire (plus de 100 m²). Il s’agit d’édifices sur poteaux plantés avec des séries de sols de terres noires bien préservées. On observe un plus grand dépôt d’artefacts abandonnés sur ces sols, des aiguisoirs, des poinçons, des lames de couteaux. Ces deux édifices semblent contemporains de deux latrines entièrement fouillées cette année, mesurant 2,80 m de profondeur. Une des deux a révélé un grand nombre de fragments de verrerie globulaire à filets de verre sur la panse et des poteries archéologiquement complètes, avec même une oule entière datée Xᵉ-XIᵉ siècle. Une petite placette piquetée d’au moins 120 trous de piquets, répartis de part et d’autre à ce qui s’apparente à une sablière débouchant sur une des sablières, s’étend au sud des deux latrines. Au-delà, quelques trous de poteaux laissent entendre un nouvel édifice qui s’étendrait à l’ouest des bâtiments 15 et 16.
Enfin, de nouveaux indices remettent en cause l’idée que les fonds de cabane apparaîtraient dans un second temps. Si ce jugement est pertinent au sud des bâtiments 2 et 14, il s’avère que des fonds de cabane entrent dans le panel des constructions dès la phase A, au nord. En effet, trois structures de ce type sont aujourd’hui distinctement identifiées. Il ne s’agit pas des plus importantes des 13 dénombrés en termes de surface mais elles s’organisent de manière bien différente de celles plus au sud. Par ailleurs, ces fonds de cabane ne recoupent pas de silos, autre différence notoire. Mais comme pour les silos de la phase A plus au sud, les remplissages sont diamétralement opposés : soit tout en matériaux crayeux vierge de mobilier soit employé comme fosse dépotoir. On attend avec intérêt le résultat des études comparatives du mobilier pour confirmer les chronologies envisagées et les différents usages constatés, notamment après abandon de la fonction primaire de la structure.
De manière générale, la campagne 2022 confirme l’exceptionnelle préservation des couches archéologiques retraçant du Xᵉ au XIIᵉ siècle l’habitat structuré qui se développe au pied de la motte. On peut parler désormais parler d’un quartier où la population se maintient durant deux siècles. Les périodes plus récentes sont mises en lumière à travers une stratigraphie plus segmentée, associée à des lots mobiliers bien plus pauvres. Mais tous ces éléments apportent des données matérielles inédites sur les fonctions de cet espace à travers le temps, que l’on suppose parfois en lien avec des évènements au château mais pas de manière systématique.

RECHERCHES PLURIDISCIPLINAIRES SUR LE SITE CASTRAL ET PRIORAL DE BOVES (SOMME)

Situation géographique

La motte castrale de Boves est un site de défense aux portes d’Amiens. Située à  8 km au sud-est, à  la confluence de la vallée de l’Avre et de la Noye, cette forteresse est barrée par un puissant fossé. Sans équivalent, cette résidence aristocratique fortifiée et siège de pouvoir, est fondée et tenue pendant quatre siècles par les ambitieux seigneurs de Boves.

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Les atouts majeurs de ce site

Ce site constitue un ensemble exceptionnel qui allie d’importantes sources documentaires à  une longue chronologie d’occupation (Xe-XVIe siècle) et à  un état des vestiges peu souvent rencontré en France. Ces éléments ainsi que l’ampleur de la stratigraphie et la présence d’une occupation ancienne sont, en effet, rarement associés sur les sites castraux et permettent d’analyser finement le processus de mise en place et d’évolution du siège d’une importante seigneurie. Trois raisons principales font de Boves un site de très grand intérêt. Tout d’abord, la stratigraphie de type urbain, à  la fois complexe et dense, permet une datation interne fine, ce qui est exceptionnel, en particulier pour les périodes anciennes. Ensuite, on connaît le type d’occupation, une résidence aristocratique, qui reste le même du IXe à  la fin du XVIe siècle. Enfin, le chantier ne cesse de livrer un mobilier abondant, riche et très diversifié.

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Pour les phases anciennes, la richesse et la diversité du mobilier, la grandeur des bâtiments et la taille des structures (silos, caves, poteaux) indiquent un site résidentiel à  statut nettement privilégié et à  très forte densité d’occupation. L’implantation d’une résidence aristocratique sur une butte anthropique, au moins aménagée à  cette occasion, au début du Xe siècle, est suffisamment rare pour mériter l’attention des archéologues et des historiens, tout en fournissant des éléments pour réévaluer la chronologie de l’apparition et du développement des châteaux en Picardie.

 

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Sur le plan historique, il s’agit de compléter la thèse soutenue en 2003 sur les seigneurs de Boves (Xe – XIIIe siècle) en travaillant sur l’aire d’intervention du lignage de Coucy. Ce vaste territoire (1900 km2) est relativement homogène car constitué sur la base de trois anciennes seigneuries contiguës (Coucy, Marle et La Fère). Outre les trois forteresses principales, il compte sept places fortes secondaires, dont deux au moins antérieures au XIIIe siècle, une dizaine de monastères et une douzaine de villae. Les seigneuries et les monastères insérés dans cette zone d’influence sont en relation avec les grands ensembles politiques et économiques riverains : les évêchés de Soissons, de Noyon, de Laon et, dans une moindre mesure, de Reims, les lignages de Rozoy, de Pierrepont-Montaigu et de Roucy, le comté de Vermandois et le domaine royal. Par ailleurs et surtout, une grande recherche est engagée, dans le cadre d’une thèse, sur le château et la seigneurie de Boves entre la fin du XIIIe et la fin du XVIe siècle, qui viendra combler un vide scientifique important avec une documentation historique particulièrement abondante, tant dans les dépôts d’archives picards que dans ceux de Lorraine.

Une fouille programmée depuis 1996…

Cette fouille bénéficie de l’appui financier de

  • l’État (ministères de la Culture et de la Recherche)

  • des collectivités territoriales (Conseil Régional de Picardie, Conseils généraux de l’Aisne, de l’Oise et de la Somme, et d’Amiens Métropole).

Plusieurs centres de recherche spécialisés collaborent à  cette approche pluridisciplinaire : le laboratoire d’archéozoologie et de carpologie de Compiègne (CRAVO), le centre de datation par le radiocarbone de l’Université de Lyon II, Archéolabs…

En parallèle et sur le plan pratique, le site castral de Boves est devenu depuis 1996 un chantier-école accueillant, chaque année et pendant deux mois, une vingtaine de stagiaires issus de la plupart des universités françaises. L’encadrement sur le terrain et l’enregistrement des données, sont assurés par une équipe bénévole hautement qualifiée.

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Bibliographie

Le programme de recherche fait l’objet de rapports scientifiques annuels et de DFS trisannuels déposés au Service régional de l’Archéologie de Picardie. Plusieurs publications ont été réalisées.

Ph. RACINET (coord.), « Le site castral et prioral de Boves du Xe au XVIIe siècle, Bilan des recherches 1996-2000 », Revue Archéologique de Picardie, n°spécial 20, 2002.

« 1000 ans d’architecture dans le château de Boves, la motte castrale de Boves, résidence aristocratique et siège de pouvoir », Archéologia, n°414, septembre 2004, pp. 37-49.

Ph. RACINET, « Un lieu de pouvoir exceptionnel aux portes d’Amiens : Boves (Xe-XIIe siècles) », Les lieux de pouvoirs au Moyen Âge en Normandie et sur ses marges, table rondes du CRAHM, Caen, 2006, pp. 119-148.

Ph. RACINET (coord.), « Le site castral de Boves du Xe au XVIIe siècle (Somme). Bilan des recherches archéologiques 2001-2006 », Revue Archéologique de Picardie, n°1/2, 2008.